Comment partager les belles choses?

Le mois dernier, j’ai dîné avec ma plus vieille amie, que je n’avais pas vue depuis 8 ans. Nous ne nous étions guère donné de nouvelles pendant cette période, et il a fallu faire une séance de rattrapage. De son côté: sa mère a eu la maladie de Lyme, son mec roadie galère de plus en plus pour trouver du boulot, elle-même qui est professeur de salsa à mi-temps craint de devoir fermer son association l’an prochain faute d’élèves, et la marraine de sa fille cadette a un cancer généralisé. Du mien: le crabe a emporté une de mes grandes amies en 2008 et mon père il y a 2 ans, j’ai dû me faire soigner pour des attaques de panique et me débats encore beaucoup avec mes angoisses irrationnelles, le secteur de l’édition va mal et je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer à exercer mon métier. 
On était dans un resto très chouette, contentes comme tout de se revoir et… la conversation était parfaitement déprimante, une avalanche de mauvaises nouvelles. Pourtant, mon amie a deux filles qu’elle adore et s’épanouit complètement dans sa vie de famille; de mon côté, si ces dernières années ont été parmi les plus rudes de mon existence sur certains plans, elles ont aussi, paradoxalement, été les plus heureuses, avec beaucoup de jolis voyages, une chouette relation de couple, plein de temps libre pour mes loisirs et un début de sérénité conquis de haute lutte. Alors, pourquoi ne pas avoir parlé des choses qui allaient bien plutôt que de nos malheurs et de nos craintes pour l’avenir? Pourquoi ne pas nous être focalisées sur le positif, largement prioritaire pour elle comme pour moi si on creuse un tout petit peu? 
Si j’évoque ce dîner en particulier, c’est parce que c’était une occasion spéciale et que cela a rendu le déséquilibre encore plus flagrant. Mais au quotidien, c’est un peu la même chose: bien que je collectionne les petits bonheurs, je communique plus facilement sur mes contrariétés et mes peurs. Je ne me considère pas du tout comme quelqu’un de morose, et je suis une fervente adepte du positivisme. Pourtant, j’ai toujours plus de mal à parler de ce qui va bien. Un peu par superstition, comme si une partie de moi pensait que clamer son bonheur, c’était provoquer le destin et inviter les catastrophes (ce qui est totalement idiot, j’en ai bien conscience). Un peu par crainte d’être perçue comme vantarde ou manquant de tact si je m’adresse à des gens moins chanceux que moi. Alors que quand je vais mal et qu’une copine m’annonce une bonne nouvelle la concernant, ça ne me rend pas jalouse ni déprimée, au contraire: ça me change les idées, et ça me redonne espoir que pour moi aussi, les choses finiront par s’arranger. 
Malgré ça, et bien que la diplomatie ne soit décidément pas ma qualité première, j’hésite à me réjouir trop ouvertement de ma bonne fortune. Je dis souvent que j’en suis consciente et reconnaissante, mais je m’attarde beaucoup moins là-dessus que sur les mille et unes raisons de rouspéter qui se présentent chaque jour. Par exemple, hors internet, je ne parle pas tellement de mes voyages qui sont pourtant une de mes plus grandes sources de bonheur, parce que je me rends compte que tout le monde n’a pas les moyens ou la possibilité de bouger autant et que je n’ai pas envie de passer pour une pétasse trop gâtée. Je crains qu’au lieu de leur faire partager mon enthousiasme pour telle ou telle ville, l’évocation de mes souvenirs ne réussisse qu’à agacer mes interlocuteurs. 
Et il me semble que tout le monde ou presque fait la même chose. Que nous partageons beaucoup plus facilement le négatif que le positif, que nous passons bien plus de temps à en discuter et à tisser des liens autour de nos malheurs petits ou grands que de n’importe quoi d’autre. On dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire; peut-être, simplement, que rien dans notre société ne les encourage à la partager. Alors que notre monde ne s’est jamais porté aussi bien (si, si, j’ai parfois du mal à m’en convaincre, mais c’est la réalité objective), l’accent mis par les médias sur les actualités anxiogènes nous pousse à devenir de plus en plus pessimistes quant à notre avenir. Dans ces conditions, comment ne pas craindre d’être indécent en avouant qu’on va plutôt bien, voire très bien, ou qu’il vient de nous arriver un truc absolument génial? Comment ne pas penser qu’on va donner à tout notre entourage l’envie de nous faire taire à coups de pelle sur la tête? Alors que ça ne serait probablement pas le cas (ou alors, il faut changer d’entourage: celui-là est tout pourri). 
Bref: comment cultiver un discours positif sans passer pour le ravi de la crèche ou une personne insupportablement bouffie d’auto-satisfaction? 

La photo, c’est parce que ce week-end, je vais à Londres et que ça me remplit de joie, mais chut! Je n’ose pas le dire trop fort.

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11 réflexions sur “Comment partager les belles choses?”

  1. Dans mon cas, je pense que je communique plus sur les mauvaises nouvelles ou sentiments négatifs parce que je les considère comme des choses à résoudre, des sentiments à apaiser en attente d'une solution ou action à laquelle je dois réfléchir, seule ou accompagnée. Alors que les bonnes nouvelles peuvent se contenter d'exister et d'être vécues. Quand je suis bien dans ma vie, ça se matérialise moins dans le fait de le dire que dans le fait de parler de tout et de rien, avec beaucoup plus d'humour et de légèreté. J'apprécie d'ailleurs beaucoup plus les moments passés en bonne compagnie et donc j'ai tendance à partager plus avec les autres, même si c'est moins à partir de mon intimité. ça me paraît moins "profond" mais ça crée beaucoup plus de jolis souvenirs et je me dis que ce sont ceux-là aussi, qui tissent des liens forts entre les êtres 🙂

  2. Je pense qu'il y a plus que cela. Que réponds-tu au bonheur des autres si ce n'est "je suis contente pour toi !", "bravo", "génial", etc… ?
    Je me suis rendue compte à plusieurs reprises que lorsque j'énonce une bonne chose, je n'ai en réponse que des banalités et très vite mon interlocuteur cherche le truc qui n'a pas été et qui lui permettrait de dire quelque chose ou alors se recentre et me parle de ce qui ne va pas chez lui.

    Il me semble qu'il est plus facile et qu'on se sent plus utile à compatir, comprendre, partager le malheur des autres que le bonheur.

    Pour te donner un exemple tout bête, mon rapport avec ma couturière à totalement changé lorsqu'elle est tombée malade pendant sa grossesse. Avant, nous avions un rapport fort respectueux. A l'annonce de l'heureux événement je l'ai félicitée comme il se doit, mais elle était plutôt réservée sur le sujet, je n'ai pas insisté. Il a fallut qu'elle souffre d’hyperhémèse pour qu'elle fasse tomber la limite prof/élève et que nous passions 2heures à discuter de son soucis entre autre. Je ne sais pas pourquoi, alors que nous avions parlé de pleins de jolies choses avant, c'est ce moment là qui fait qu'on a décidé d'aller au-delà.

    En ce qui me concerne, je sais pourquoi je parle des choses qui ne vont pas. Je les expulse. Le fait de m'entendre parler de quelque chose qui me dérange, me force à réfléchir et me permet "d'éliminer" le problème. Je ne le fais cependant qu'avec peu de gens.

    J'imagine donc que finalement on a pas besoin de réconfort lorsqu'on est heureux, ça nous suffit de le ressentir, alors que lorsque ça ne va pas, le besoin d'une épaule, d'une oreille ou juste d'un câlin devient une aide et donc nécessaire…

  3. Très bon article ! 🙂
    C'est une question existentielle que je me suis déjà souvent posée. Je n'ai pas la réponse. Mais je trouve cela dommage qu'on parle si peu des choses heureuses.

  4. Aline - Inspiré et Créé

    Je comprends, c'est vrai que je remarque moi aussi qu'on a plus tendance à parler de choses négatives plutôt que les choses positives.Pourtant, je pense qu'en parlant des choses posisitves, peut-être que cela pourrait inspirer et encourager le monde à faire pareil ou à se dire que si telles personnes réussissent à être heureuses, eh bien, qu'elles aussi peuvent faire des petits changements pour être heureux!

  5. Ton billet fait écho à une réflexion que j'ai en ce moment justement sur mes relations avec les autres.

    J'ai traversé une épreuve personnelle cette année, et moi qui avais tendance à parler beaucoup du positif, j'ai confié aussi du négatif ou du moins des choses personnelles difficiles à mes amis cette année. J'ai eu la chance de trouver écoute, aide, soutien auprès des gens que j'aimais.
    Et j'ai été aussi surprise de constater combien le fait de révéler mes failles, mes doutes, mes difficultés permettaient aux autres de s'ouvrir sur leurs propres douleurs et doutes.
    Comme si j'avais laissé tomber une certaine façade pour tisser des liens plus authentiques encore.
    Et pourtant je crois être toujours joyeuse et positive, je profite de la vie, et je transmets cela aussi (on me dit que je rayonne en ce moment), mais je crois que je suis plus dans le vrai, dans le ressenti, dans le partage… Le négatif en fait partie, et rend plus touchant la personne que l'on a en face de nous peut-être.

  6. C'est peut-etre aussi culturel je pense. Je ne parle pas du tout de mes problèmes. J'ai été élevée selon le principe qu'il faut toujours donner une image positive. Ne jamais s'appesantir et il est vrai que par moment les discussions sont très brèves n'ayant "rien" a raconter….

  7. Ah oui super pour ton voyage, amuses toi bien et on attend ton billet la dessus avec impatience 🙂

  8. Merci pour cet article, il me parle beaucoup, et je te rejoins sur beaucoup de choses 🙂

    Ton article me fait me rendre compte que j'ai beaucoup de mal à parler de moi, car si je suis trop positive, j'ai peur que ça paraisse presque indécent. Par contre, si je suis trop négative, j'ai peur de paraître comme quelqu'un de jamais content et qui passe sont temps à se plaindre.

    Je souhaite sincèrement un jour pouvoir me connecter plus facilement aux autres, et simplement partager sans juger 🙂
    et j'imagine que c'est le cas pour beaucoup de gens. Quand je creuse un peu dans mon entourage, je me rends compte je suis loin d'être la seule à souhaiter ça, et que tous autant que l'on est, on a des barrières de protection à franchir avant 🙂

    Enfin, c'est mon ressenti en tout cas?
    J'espère que mon commentaire n'est pas déplacé!!
    Passe un bon we 🙂

  9. Merci pour cet article.
    Il m'a rappelé une autre inquiétude que j'avais exprimée il y a quelques années, au cours d'une formation professionnelle. Si je suis gentille, serviable, honnête, est-ce que je ne risque pas de paraître "faible" et de "me faire bouffer toute crue". La formatrice m'avait conseillé de lire Le conte chaud et doux des Chaudoudoux (écrit par un des fondateurs de l'analyse transactionnelle). Ou comment dire simplement : ne nous privons pas de nous faire du bien, car c'est contagieux.
    Les personnes que je trouve les plus inspirantes sont celles qui cherchent le positif quelque soit le contexte (et, j'insiste, pas seulement "malgré" ce contexte). Leur discours me fait du bien. N'oublions pas qu'on peut aussi se réjouir du bonheur des autres et se réjouir AVEC les autres. C'est tellement triste de se dire que partager son bonheur aurait moins d'intérêt que partager son malheur.
    Probablement y a-t-il de meilleures manières de présenter les choses, mais l'autre garde la responsabilité sur ce qu'il veut entendre, peut-être plus en ce qui concerne le positif. Peut-être qu'on manque d'entraînement pour partager le positif, mais aussi conséquemment pour réagir au positif.
    Si tu me racontais ton voyage à Londres, évidemment tu pourrais insister plus sur les anecdotes que tu peux partager que sur le fait que tu as pu financer cette escapade, mais, à la fin, je pourrais ressentir tellement de choses différentes :
    – je n'ai pas les moyens de me payer ce genre de week-end : je l'envie,
    – ses photos des jolies décorations de Noël sont vraiment chouettes : c'est très joli et je suis déçue de ne pas pouvoir les admirer en vrai OU c'est très joli et je suis contente de lire ce blog pendant mon trajet en métro OU c'est très joli et ça me donne une idée : ce soir, je vais sur les Champs Elysées : je pourrai peut-être admirer en vrai de jolies décorations,
    – elle a passé un chouette week-end avec son chéri : je n'ai pas de chéri et ça m'attriste d'y penser OU je suis heureuse pour elle,
    – etc.
    La palette de réactions que tu m'offres a-t-elle moins d'intérêt que "je suis là pour toi dans tes difficultés" ?
    Je ne sais pas si c'est l'approche de Thanksgiving, mais j'ai l'impression que les américains sont mieux "entraînés" que nous.

  10. Je dois dire qu'il en va de même pour moi, je parle plus "facilement" des choses qui ne vont pas que de l'inverse. De le même façon je dis plus facilement quand ça ne va pas que quand ça va bien. Finalement il y a-t-il un intérêt à dire que l'on va bien. Oui je pense. Mais alors il est plus difficile de justifier pourquoi ça va bien. Il n'y a pas toujours de raison, de choses concrètes qui font que ça va bien alors que les choses négatives nous trouvons toujours des explications…

  11. J'adore cet article, et cela fait réellement du bien de trouver un écho de ce que l'on pense, on se sent moins seul 🙂

    Et oui nous ferions mieux de nous concentrer sur le positif et de le considérer aussi fort et intensément que le négatif… chose que j'ai beaucoup de mal à faire mais je ne perds pas espoir !

    J'espère que ton week-end à Londres était réjouissant 🙂 !

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