
Pendant longtemps, j’ai refusé de lâcher un livre avant d’être arrivée à la fin – un principe qui m’a valu bien des heures pénibles. J’ai fini par admettre que c’était idiot, que les sous dépensés pour ce bouquin avaient déjà disparu de ma poche et que je ne faisais qu’ajouter un gaspillage à un autre, sacrifiant en plus de mon argent un temps précieux qui aurait pu être consacré à de meilleures lectures.
Depuis que je me suis donné la permission d’arrêter en cours de route si vraiment je n’accroche pas, je deviens de plus en plus intransigeante dans l’autre sens. Au début, je poussais au moins jusqu’à la moitié. Mais plus ça va, moins je tiens longtemps. Ma patience s’amenuise. Si l’auteur n’a pas réussi à me harponner au bout de quelques chapitres, je sais qu’il y a de fortes chances pour que ça ne s’arrange pas. Quand le style me rebute mais que l’histoire semble prometteuse, je survole la suite pour voir ce qui se passe, et c’est tout.
Ado et jeune adulte, je lisais un seul livre à la fois. Maintenant, j’en ai toujours une demi-douzaine d’entamés en même temps. Trois-quatre romans de styles très différents, pour varier selon l’humeur, dont au moins un poche qui tient bien dans mon sac à main. Un ouvrage de développement personnel, un récit de voyage ou autre lecture facile à morceler qui séjourne à côté des toilettes. Je garde les bédés pour les soirs où j’ai du mal à me concentrer.
Pour permettre ce mode de fonctionnement, j’ai comme beaucoup de gros lecteurs développé une PAL – une Pile à Lire, ou concrètement, une étagère réservée aux livres en attente. J’ai toujours l’impression d’exagérer avec ça, alors qu’en réalité, la mienne ne contient au pire qu’une quarantaine de titres. J’ai des amis dont la PAL dépasse le demi-millier! Le fait que j’ai beaucoup de temps libre et que je lis vite m’aide à faire tourner la mienne assez rapidement.
Le plus dur, au début, c’était d’éliminer les bouquins qui moisissaient là depuis trop longtemps, et que je n’allais de toute évidence jamais avoir envie de lire. « La vie mode d’emploi » m’a ainsi accompagnée tel un reproche muet pendant plus de dix ans. Ce roman de Georges Pérec avait tout pour me plaire, sauf sa mise en page atrocement compacte qui me donnait l’impression d’étouffer dès que je l’ouvrais. Mais j’ai peu de place chez moi, et une approche de plus en plus minimaliste de la gestion de mes biens matériels. Il en est désormais de mes livres comme de mes fringues: au bout d’un an ou deux, s’ils n’ont pas servi, ils dégagent. Oui, même ceux qui sont dédicacés.
Du coup, je me fais dédicacer de moins en moins de choses pour ne pas que ça constitue un frein plus tard. Avant, je rentrais toujours des salons les bras pleins de bouquins achetés parce qu’ils me faisaient vaguement envie et que l’auteur était là. Dans quatre cas sur cinq, je ne les aimais finalement pas, et je me retrouvais bien embêtée à ne pas savoir qu’en faire. Maintenant, je ne me fais dédicacer que des bouquins d’auteurs dont j’ai adoré au moins un roman précédent. Je suis au regret de dire que si ça limite un peu la casse, ça ne prémunit pas complètement contre les erreurs d’achat. Par exemple, « Les insulaires » de l’adorable Christopher Priest (auteur du magistral « Le prestige ») m’est assez vite tombé des mains malgré tous les prix littéraires qu’il a remportés.
Deux choses cependant n’ont jamais changé dans mes habitudes de lectrice. Je ne relis jamais un roman: un peu parce que ça m’empêcherait d’avancer sur mes nouvelles lectures, beaucoup parce que l’émotion n’est jamais aussi forte la seconde fois. Pour la même raison, il est très rare que je revoie un film si génial soit-il. Le seul type d’ouvrages que je relis parfois, ce sont les bédés dans le cas d’une série dont un nouveau tome vient de sortir alors que j’ai oublié ce qui se passait dans les précédents, et les Calvin & Hobbes par bribes quand je vais mal.
Par ailleurs, bien que je comprenne les arguments en faveur de la liseuse (surtout pour une adepte du minimalisme!), c’est viscéral, je ne peux pas lire sur un écran. Pour moi, l’expérience de lecture tient presque autant au contenant qu’au contenu. J’ai besoin du contact du papier, de l’odeur de l’encre, de leur côté organique. C’est tout à fait irrationnel mais j’assume. Même en vacances quand mes lectures occupent un tiers de ma valise et me brisent le dos dans les escaliers du métro.
Et puis surtout, surtout… Les livres sont toujours mon immuable foyer, mon refuge hors du monde, mon remède numéro un aux bobos de l’âme. Plus que n’importe quoi d’autre (même sans l’aide de Georges Pérec!), ils me fournissent le mode d’emploi de la vie, me montrent le chemin et contribuent à faire de moi une meilleure personne.
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C'est intéressant de s'analyser en tant que lectrice (merde j'ai l'impression de dire de la moitié de tes posts qu'ils sont intéressants … mais c'est vrai ! :D).
Comme toi, je ne me force plus à finir un livre et je jarte assez facilement ceux qui ne "servent" pas (ainsi que ceux que j'ai lu mais pas plus apprécié que ça). L'important, c'est tout de même de faire ce que l'on veut comme on veut – n'est-ce pas Pennac ?
Bonjour Armalite,
Je me retrouve complètement dans ton attitude de lectrice…je laisse tomber une lecture si je n'accroche pas direct (mais j'enrage sur les sous dépensés…du coup j'essaie de n'acheter que des auteurs fétiches en broché, le reste, toujours en poche…), je ne relis jamais un livre car je veux en conserver précieusement l'émotion première, du coup il devient limite sacré….j'ai besoin de savoir qu'il n'est pas loin, dans ma bibliothèque, et j'ai énormément de mal à le prêter des livres (il m'est arrivé de mentir pour ne pas répondre positivement à une demande de prêt..). J'ai acheté une liseuse il y a 3 ans, elle a moisi et pris la poussière, c'est insupportable de ne pas tâter du papier, tourner les pages, comme toi je préfère me casser le dos en voyage, transporter mes doudous…certains ont voyagé au bout du monde sans être lus…Je te souhaite une belle semaine,
Séverine / Roseline Papillon (IG)
Intéressante analyse!
J'en suis venue aussi à abandonner les livres auxquels je n'accrochais pas, ce que je ne faisais absolument jamais quand j'étais plus jeune.
Par contre, je n'aime pas du tout lire plusieurs livres à la fois (sauf peut-être 1 roman et 1 bédé), mais je lis principalement des poches, ce qui évite le souci de transport des brochés.
Je relis peu, mais certains livres parfois, surtout quand je me suis fort attachée aux personnages, je trouve agréable de les "retrouver".
Pas tentée par la liseuse non plus, entre autres car j'aime chiner des livres, ça m'enlèverait ce plaisir!
Sur ce, bonne lecture ^^
Mon amour pour les livres est grand et mon temps pour les lire est minuscule,à mon grand désespoir. Du coup,j'ai adopté comme toi,depuis peu,l'abandon quand ça ne me plait pas (avant ça m'arrachait le coeur…comme si le livre était une personne
).
Je n'ai relu qu'un seul livre: "Une vie" de Maupassant, un de mes favoris. Mais sinon je n'aime pas ça.
En lire plusieurs,je commence à peine cette pratique (vu le peu de temps) mais je choisis un roman léger et un de développement personnel. Les BD,les mangas j'ai essayé,je ne suis pas fan,je ne sais pas pourquoi…Sûrement parce que j'aime plus les mots que les images.
Concernant la liseuse,c'est impossible! L'odeur du livre,le contact… tout ce que tu décris,je suis carrément d'accord avec toi!
Bonjour Armalite,
Vous me rassurez je ne suis pas la seule à acheter des livres alors que j'ai encore des dizaines de livres qui attendent à être lu
Moi aussi je culpabilise quand je ne termine pas un livre. Je me souviens du livre "Le dieu des petits riens". C'est un best seller. A l'époque je l'avais acheté mais je n'ai pas réussi à le finir. Peut-être que je devrais lui donner une seconde chance. Et que faites-vous des livres dont vous voulez vous débarrassez? A ma bibliothèque ils m'ont dit qu'ils pouvaient en prendre certains. Lylou.
A un moment je les envoyais à une bibliothèque des Restos du Coeur, mais vu le poids ça me revenait trop cher. Maintenant je les revends en bouquinerie, sauf si quelqu'un dans mon entourage est intéressé par un titre en particulier, alors je le lui donne.
Près de chez moi ( Uccle) on trouve aussi des boîtes de dons de livres. On prend et on dépose ce que l'on veut. Ça fonctionne assez bien.
En m’acharnant, j’ai découvert des pépites, du coup, je continue encore quand je sens qu’il y a quelque chose. Mais je suis devenue plus méfiante envers les résumés alléchants truffés d’hyperboles et je feuillette assez longuement pour être certaine que le style/la traduction me convienne. Trop d’histoires sympas dévalorisées par un style plat ou nul.
Sinon, ce qui a changé, c’est que je lis maintenant très lentement. Avant, je dévorais mes livres (au point où je me demande si je les comprenais bien), puis j’ai arrêté totalement de lire autre chose que de la BD pendant 2-3 ans. Quand j’ai repris, je mettais une minute par page. Ça va mieux maintenant, mais je reste une petite lectrice.
J’ai aussi appris à ne plus me laisser emprisonner par un bouquin avec lequel je n’accroche pas – et du coup, j’hésite beaucoup moins à partir à la découverte d’auteurs inconnus ! D’autant qu’en bonne souris de bibliothèque, je n’ai rien à perdre.
Et j’ai toujours plusieurs bouquins en cours, selon les moments de la journée, l’activité parallèle, l’état de fatigue…
Mais là où nous divergeons totalement, c’est sur la relecture. Je suis une très grande relectrice, j’adore ça. Souvent, je lis vite, happée par l’histoire, et somme toute impatiente de connaître le dénouement. Quand je relis, je savoure chaque phrase, je décèle les petites choses qui m’avaient échappé la première fois, qui font tout le sel de l’histoire, voire qui permettent de mieux la comprendre. J’apprécie encore mieux le style de l’auteur, voire le travail du traducteur. C’est comme engloutir un bon gâteau avec gourmandise, puis savourer le suivant… Je trouve qu’une bonne histoire a besoin d’être relue, et qu’une très bonne histoire y gagne à chaque relecture.
Inutile de préciser que je ne relis pas une mauvaise histoire, n’est-ce pas ?
Il arrive cependant qu’un livre me marque tellement que je me sens incapable de le relire pendant des années, tellement il reste ancré en moi. En vingt ans, je n’ai pas encore relu « Cent ans de solitude » , mais je le ferai un jour.
Et il y a une autre forme de relecture importante pour moi ; c’est ce que j’appelle les livres-doudous. Ceux que je connais par coeur, que je ressors quand ça ne va pas, quand je suis fatiguée ; des livres familiers, réconfortants. Ils varient avec le temps, il y a eu des séries de 10/18 (les Cadfael, les Wentworth ), la trilogie des trois Mousquetaires ; plus tard, tout Asimov ; maintenant, l’intégrale d’Agatha Christie, et les Harry Potter sont en bonne voie pour le devenir aussi. Ce sont aussi ceux-là que je prends pour lire au lit quand je veux être sûre de ne pas me coucher tard !