Où je dis merci la pandémie

 

Le deuxième confinement qui refuse de dire son nom a déjà commencé en France et en Belgique. Lors du premier, j’espérais pouvoir reporter mon voyage en Ecosse à l’automne. Aujourd’hui, malgré la vitesse spectaculaire à laquelle les scientifiques du monde entier ont mis au point différents vaccins, je crains que ça ne soit l’automne 2021. C’est pour moi une grande source de tristesse et de démotivation… mais d’un autre côté, j’ai bien conscience qu’il s’agit d’un pur problème de riche. Je ne suis pas malade; je n’ai perdu personne à cause de la Covid; j’ai toujours du boulot et donc de l’argent; de plus mon métier me permet de m’exposer le strict minimum. Et en tant qu’introvertie, je ne souffre que modérément du manque de contacts humains. Vraiment, je fais partie des chanceux. 

Reste que cette pandémie est difficile pour tout le monde, sur un plan ou sur l’autre. Les soignants et les profs sont au bout de leur vie, parfois littéralement. Les parents de jeunes enfants ne savent plus où donner de la tête. Les restaurateurs, les cafetiers et beaucoup d’autres petits entrepreneurs sont menacés de faillite. Les personnes âgées se retrouvent isolées à un moment de leur existence où les visites sont souvent leur unique joie. Les victimes de violences conjugales, les SDF et les migrants sont plus vulnérables que jamais. Les étudiants craignent pour leur avenir. Quant aux gens qui souffrent de troubles psychiques comme moi, leur enfer invisible a pris une nouvelle dimension. 
Depuis que j’ai failli me crasher en flammes fin juin, je consacre beaucoup de temps et d’énergie à ma santé mentale. (D’argent aussi: une thérapie, ce n’est pas bon marché…). Je suis encore loin de voir le bout du tunnel, mais je sens que j’ai pas mal avancé. Ma psy m’a permis de pointer l’origine exacte de mon anxiété chronique, une croyance fausse que je peux maintenant m’employer à déboulonner – même si ça ne sera pas facile. Ma récente victoire contre l’Urssaf m’a prouvé que je n’étais pas toujours impuissante, que j’avais les ressources nécessaires pour résoudre la plupart de mes problèmes. Le retour des fourmis charpentières m’a obligée à admettre que néanmoins, il est des batailles qu’on n’a aucun espoir de remporter et que la seule chose intelligente à faire est de lâcher prise.
Et puis, j’ai eu une révélation en lisant « Burnout » des Drs Nagoski. Les autrices y expliquent qu’on croit à tort se débarrasser du stress en se débarrassant de ses causes, alors qu’une fois les causes du stress éliminées, le stress, lui, demeure dans le corps et doit être traité au niveau physiologique pour ne pas faire de dégâts à long terme. Exemple: hier, une voiture a failli me renverser dans la rue. Longtemps après que j’ai gagné indemne le trottoir d’en face, mon coeur a continué à battre très fort; j’avais de l’adrénaline plein les veines et beaucoup de mal à chasser une vision de moi dans un lit d’hôpital. Je savais que si je ne faisais rien, j’allais ressasser l’incident en boucle jusqu’au soir et me rendre malade pour un risque qui ne s’était finalement pas concrétisé. 
Alors, j’ai appliqué les conseils du bouquin. Pour « compléter le cycle du stress », il existe un certain nombre de méthodes éprouvées qui fonctionnent sur la plupart des gens. La plus efficace de loin, c’est l’activité physique: le sport, évidemment, mais aussi le simple fait de s’activer et de bouger son corps, ne serait-ce qu’en marchant ou en faisant le ménage. On peut aussi revenir au calme grâce à des exercices de respiration (méditation, sophrologie, cohérence cardiaque…) ou des interactions sociales positives, en riant très fort ou au contraire en pleurant un bon coup pour évacuer les émotions négatives, en s’absorbant dans un acte de création artistique, en se faisant serrer dans les bras de quelqu’un qu’on aime pendant au moins 20 secondes. Toutes ces choses visent le même résultat: envoyer au corps le message que tout va bien, qu’il est en sécurité à cet instant précis et qu’il peut sortir du mode « se battre ou s’enfuir » dans lequel il était resté coincé. 
Présenté ainsi, ça semble évident. Pourtant, jusqu’ici, quand j’avais un gros coup de stress, je continuais à le porter en moi longtemps après que le problème avait été résolu – parfois des semaines entières. Et bien sûr je me reprochais de ressasser inutilement. J’avais compris d’instinct que le yoga et les exercices respiratoires pouvaient m’aider; je ne m’étais pas rendu compte que ça n’était pas une option mais un passage obligé si je voulais mettre un point définitif à l’incident. C’est comme si une lumière venait de s’allumer dans le noir. Non seulement je dispose désormais de moyens concrets de dissiper mon anxiété résiduelle, mais je vais pouvoir cesser de culpabiliser bêtement: c’est tout à fait normal de ruminer, ce n’est pas le signe d’une faiblesse de mon caractère, et je suis parfaitement capable d’y remédier.
Il me reste encore beaucoup de travail à faire sur moi-même, notamment pour ne pas sur-réagir face à la cause initiale de mon stress. Ma psy m’a donné quelques pistes: penser à toutes les fois où j’ai imaginé le pire et où il ne s’est pas produit; imaginer les façons dont un scénario qui ne se déroule pas comme prévu pourrait déboucher sur de nouvelles opportunités. Deux amies avec qui je discutais de mes difficultés à gérer l’écart entre ma vision du monde et la réalité m’ont expliqué comment elles s’y prenaient, et j’ai trouvé ça très intéressant. Je me sens mieux armée pour affronter mon trouble anxieux, et je ne crois pas que j’en serais arrivée là si la pandémie et ses conséquences ne m’avaient pas poussée dans mes derniers retranchements. 

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4 réflexions sur “Où je dis merci la pandémie”

  1. Grand merci pour cet article, qui tombe vraiment à pic. Je crois que je vais commander ce livre…

  2. J'ai lu il y a quelque temps In an Unspoken Voice, de Peter Levine (https://www.goodreads.com/book/show/8582180-in-an-unspoken-voice) qui a le même genre d'opinion sur la physiologie du stress et du traumatisme, et j'avais trouvé ça vachement intéressant. C'était clairement plus orienté "thérapeute" que "thérapeuté" 😉 et c'était un narratif un peu trop beau pour être vrai, mais ça m'avait donné de la matière à réflexion sur le sujet.

  3. Ca me parle beaucoup !

    Je serais très intéressée de savoir comment tes deux amies gèrent l'écart entre leur vision du monde et la réalité.

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