
L’an passé à la même date, j’avais d’excellentes relations avec moi-même. Je ne me prenais pas pour quelqu’un de parfait, mais j’avais conscience de mes qualités autant que de mes défauts. Je me donnais du mal pour appliquer les valeurs en lesquelles je croyais: honnêteté, solidarité, respect de mes engagements. Malgré des ratés occasionnels, je tentais de traiter les autres comme j’aurais aimé qu’ils me traitent. Je me tenais pour une personne faillible mais décente, qui faisait de son mieux et tentait sans cesse de s’améliorer. J’avais tiré un trait sur les choses que je ne serais jamais – quelqu’un de zen et de chaleureux, par exemple; je me disais qu’on ne peut pas tous être des extravertis solaires et que j’avais suffisamment de traits positifs pour compenser. Bref, j’étais en paix avec mon identité.
Un an plus tard, je me déteste.
Je ne connais pas une seule personne qui ait été épargnée par la pandémie. Décès de proches, conséquences effrayantes d’un Covid long, perte d’emploi et de revenus, solitude forcée ou, au contraire, promiscuité insupportable, difficultés liées au télétravail ou à l’enseignement à distance… Tout le monde a morflé et morfle encore.
Mon épreuve personnelle, c’est la limitation de mes déplacements. Des voyages dont j’avais fait quasiment ma seule raison de vivre et mon unique motivation, mais aussi des allers-retours entre mes deux lieux de vie séparés par 1000 kilomètres et une frontière. Et bien sûr des occasions de voir ma famille qui me manque déjà tellement en temps normal. Ca n’a peut-être pas l’air si grave vu de l’extérieur, mais ça a complètement dynamité mon fragile équilibre interne.
Il y a un an, je mettais ma santé mentale vacillante sur le compte de mon trouble anxieux généralisé. Je soupçonnais depuis longtemps que j’étais peut-être autiste mais n’éprouvais ni le besoin ni l’envie de m’enfermer dans une case qui, me semblait-il, ne m’apporterait rien de positif. Oui, mon anxiété me pourrissait la vie, mais pas à 100% et pas en continu. Sauf en cas de crise aiguë, j’arrivais quand même à profiter des belles choses. J’avais des périodes de rémission plus ou moins longues durant lesquelles je me croyais tirée d’affaire. Dès que les nuages noirs se dissipaient, je me persuadais qu’ils ne reviendraient pas, ou que j’arriverais à ne pas leur prêter trop d’attention.
Pour le reste… J’avais déjà bâti ma vie autour de mes difficultés relationnelles en choisissant un métier solitaire et en n’ayant que des amitiés émotionnellement distantes. Travailler chez moi et être maîtresse de mon emploi du temps me permettait de limiter les stimuli perturbants (je ne supporte ni le bruit, ni l’agitation, ni les odeurs fortes, ni les contacts physiques avec des gens qui ne font pas partie de mon cercle d’intimes). J’avais par ailleurs la chance que mon amoureux tolère assez bien mes petites bizarreries: mon habitude de parler toute seule et de gesticuler dans des conversations avec un interlocuteur imaginaire, ma manie de gratter systématiquement la page droite du livre que je lis avec l’ongle de mon index, mon besoin de dormir sur le canapé avec une couverture lourde quand je suis trop angoissée, mon insistance à arriver partout très en avance de crainte d’avoir une seule minute de retard…
Mais des problèmes, tout le monde en a: l’essentiel, c’est de les gérer au mieux. Tant que je gardais une illusion de contrôle, j’arrivais à faire semblant auprès des autres, et aussi un peu à me berner moi-même. Malgré mes limitations, je menais une existence productive qui m’offrait des satisfactions petites et grandes, des instants de joie authentique et des moments de bonheur intense. Bref, je tirais le meilleur parti de la main que j’avais piochée.
Depuis mars dernier, le climat anxiogène et l’impossibilité de me projeter dans l’avenir ont fait écrouler le château de cartes de ma santé mentale. Je n’ai plus de carotte pour me motiver, plus de bouée pour me maintenir la tête hors de l’eau: juste des perspectives qui me semblent rétrécir un peu plus chaque jour. Je suis usée de ne faire que travailler et angoisser depuis un an. Les resquilleurs du masque, anti-vaxx et complotistes de tout poil me font désespérer du genre humain. Je ne m’exprime plus que très peu sur les réseaux sociaux: pour partager quoi, du négatif? Tout m’affole ou me fâche. L’actualité m’enfonce et me suffoque. Au lieu de se rapprocher, le bout du tunnel me semble reculer sans cesse.
Je n’ai plus d’énergie et plus de volonté, un peu comme si on m’avait volé les trois quarts de mes cuillères. J’assure le service minimum dans mon quotidien, et c’est tout.
Je n’ai plus la force de parler même à ceux qui me manquent. Je préfère les ignorer que raviver la douleur de leur absence avec un contact distancié, donc insatisfaisant.
Je ne supporte plus la moindre contrariété. Il reste si peu de plaisir dans nos vies que chaque déception minuscule prend des proportions démesurées.
Je me sens comme une cocotte-minute sous pression depuis trop longtemps. Quand ma frustration explose, pour ne pas taper sur les autres, hurler ou me mettre à tout casser autour de moi, je me cogne littéralement la tête contre les murs.
Je ne vois plus rien de beau ou de positif en moi, plus rien qui mérite d’être préservé dans ce trou noir d’abattement et de désespoir.
Désormais la plupart des gens m’horripilent, mais eux au moins, je peux les fuir. Comment échapper à soi-même?
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Ce que je vois, moi, de beau et de positif en toi, c'est ton talent pour l'analyse et ton art de la synthèse – qui, je le comprends, ne t'épargnent pas l'obscurité, mais éclairent autour de toi.
Ton "tout m'affole et me fâche" fait écho à Racine et cette réplique de Phèdre que je convoque parfois (souvent, à vrai dire) pour imbiber de poésie mon impuissance et ma colère : "Tout m'afflige et me nuit, et conspire à me nuire".
Je rencontre un peu le même type de problématique (je suis en tout début de diagnostic pour un TSA également) et je me reconnais beaucoup dans ce désespoir abyssal que tu décris, face à une situation générale qui stagne ou se dégrade. Ce qui m'aide : mes petits projets dessin ou crochet, l'écriture, la lecture. Même mes difficultés de concentration et mon anxiété ne me facilitent pas la tâche… Sortir au soleil quand il y en a. Quelques mails (le téléphone, c'est trop dur) et lire mes blogs favoris dont le tien fait partie.
Prends soin de toi.????
Je me demande une chose en te lisant…
Est-ce que tu n'es plus capable de voir ce qu'il y a de beau et de positif en toi selon tes critères ? Et dans ce cas tu restes sourde à ce que ceux qui t'aiment seraient capable de voir en toi de beau et positif.
Ou est-ce que ton moral est tellement bas que tu n'as plus la force de voir en toi quelque chose de beau et de positif ? Et dans ce cas, tu pourrais peut-être compter sur les autres pour te rappeler tes bons côtés. Même si je sais que tu ne veux pas compter sur ceux qui t'aiment.
Je t'embrasse fort.
Déjà, tu es capable de t'analyser, c'est déjà beau en soi ! Beaucoup de gens en sont incapables !
Le rapport à soi va et vient en fonction des éléments extérieurs mais rappelle-toi que tu es sensiblement la même qu'il y a un an, quand tu t'aimais bien ! Le monde a changé, les gens sont fous, les actualités sont décourageantes (d'ailleurs, je ne m'informe plus, le minimum) mais toi, tu es la même, ou pas loin. Bien sûr, nous sommes tous en constante évolution, mais un an sur l'échelle d'une vie ne fait pas de toi quelqu'un de foncièrement différent
Un jour j'écoutais une méditation sur Youtube, d'Olivia Kissper, et elle a dit un truc qui m'a vraiment beaucoup interpelée, au point où j'en ai fait un article. Elle a dit que, quand on lit un roman, on aime les personnages. Même s'ils ont des défauts (et parce qu'ils ont des défauts) on aime les personnages. Même s'ils font des erreurs et qu'ils galèrent, on les aime. Donc, on peut essayer de s'aimer comme on aime les personnages de roman.
Oh tellement ce que je ressens ces temps. Pendant un an j'ai eu l'illusion de pouvoir jongler avec mon anxiété et me déprime mais là depuis quelques semaines non seulement je me totalement submergée mais en plus je ne vois plus aucune lumière d'espoir lorsque je regarde au loin. L'une des seules librtés qui me reste est de pouvoir me rendre à mon travail, qui est justement la principale source de mon angoisse…
Oh je lis ceci et je suis triste de te savoir si déprimée. Toi qui es une source de lumière pour moi. J'aime tellement ce que tu ecris, dis et fais. Il suffit de regarder tes photos pour voir ta lumière, tu es resplendissante sur les photque te fait ton amoureux. Ce moment est une galère pour beaucoup, je suis sans travail, ma mère en fin de vie et je suis à 3000km sans savoir quand et si je la verrai, entre autre… Je me sebs aussi épuisée par moment mais j'essaie dans les petites choses de voir la beauté de la vie. Nous avons la chance d'être en vie. Prend soin de toi, nous sommes nombreuses à te comoter parmi les beaux dons de la vie.
@Annick: Je suis vraiment désolée pour ta mère; j'espère qu'elle tiendra le coup jusqu'à ce que tu puisses la revoir!
Hello! J'ai été désolée d'apprendre que ça va aussi mal… Comme tes autres amies et lectrices, ce que je vois de toi est une personne pétillante, bienveillante, avec plein d'idées que tu partages généreusement avec nous.
Un livre qui m'a aidé est "Off The Wall" de John Dabrowski. J'ai assisté à un de ses seminars sur la "Mental Resilience" il y a quelques années et j'ai trouvé ça intéressant car il a expliqué qu'à un moment ou un autre on allait tous certainement échouer à quelque chose, que malgré nos efforts on allait faire des erreurs au travail, qu'il nous arriverait des choses difficiles à surmonter, qu'on allait se sentir mal pour des raisons pas forcément évidentes… Il donne des pistes sur comment faire face aux difficultés de la vie et comment devenir plus fort mentalement.
J'espère que ca ira mieux très rapidement. Les beaux jours arrivent et le vaccin donne déjà des résultats encourageants en Angleterre, ce qui me donne de l'espoir pour nous tous.