
Mercredi en début d’après-midi, retour chez C*ridys pour la seconde partie des tests. Je m’attends à ce qu’on explore l’aspect psycho-moteur parce que j’en ai entendu parler dans les récits d’autres adultes diagnostiqués autistes, mais non. « Je ne suis pas psycho-motricienne; je ne peux pas vous évaluer sur ce point », m’explique la psy. Ce qui semble logique. Pour son compte-rendu final, elle se basera donc sur ce que je lui en ai dit sans l’avoir vérifié concrètement. Soit; je n’ai pas l’amour des tests chevillé au corps et aucune envie d’en passer plus que strictement nécessaire.
Les épreuves d’aujourd’hui sont un bric-à-brac duquel je peine à dégager un thème central. Pour commencer, je dois regarder une soixantaine de photos de visages (visiblement prises dans les années 70, comme en témoignent les coiffures ringardes des modèles et leur ignorance manifeste du concept d’orthodontie) et dire quelle émotion ils sont censés exprimer. Sur les premiers clichés, les mimiques sont très exagérées et il est facile de répondre. Dès que ça devient un peu plus subtil, j’ai énormément de mal à distinguer entre la peur et la surprise ou entre la colère et le dégoût.
Je suppose que ça n’a rien d’étonnant. Dans la vie de tous les jours, je me fie uniquement à ce que me disent les gens et pas du tout à leur langage non-verbal. Si quelqu’un me jure qu’il va bien alors que tout dans son comportement indique l’inverse, j’ai beaucoup de mal à m’en apercevoir. Une des raisons pour lesquelles les conventions sociales de politesse et de retenue ainsi que les « mensonges blancs » diplomatiques me soûlent: si mes interlocuteurs attendent que je devine ce qu’ils ont dans la tête, ils sont systématiquement déçus. Une des raisons aussi pour lesquelles je formule toujours clairement mes exigences d’une manière dont je vois bien que beaucoup la considèrent comme grossière ou brutale. Une des raisons, enfin, pour lesquelles je ne suis pas du tout attirée par le cinéma: tout ce qui est suggéré par la lumière, le décor, la musique ou la gestuelle des acteurs plutôt que formulé explicitement me passe au-dessus de la tête. Donnez-moi des bouquins avec des mots et rien d’autre, merci.
Seconde épreuve: en trois étapes successives, il s’agit de parvenir à énoncer le plus rapidement possible une longue série de couleurs, non pas telles qu’elles sont écrites sur le papier, mais dans la couleur où elles sont écrites. Par exemple, pour le mot « rouge » écrit en bleu, il ne faut pas dire rouge mais bleu, ce qui oblige à la gymnastique mentale d’outrepasser le premier message reçu par le cerveau (dans le cas tout au moins de personnes qui maîtrisent la lecture). Pas particulièrement difficile, mais très fastidieux.
Troisième épreuve: je lis une vingtaine de scènes courtes présentant une situation sociale, et je dois dire à la fin si quelqu’un a commis un impair ou pas. C’est bizarre parce que dans certains cas, je sais que telle ou telle chose est considérée comme une maladresse, mais ça n’en est pas une pour moi. Du coup, je suis embêtée pour répondre. Je me rends compte aussi que dans beaucoup d’autres cas, je pars du principe que les bévues des protagonistes relèvent d’une simple gaffe et non d’une quelconque malveillance. Moi qui dans la vie de tous les jours me méfie tellement des intentions de tout le monde et suis tellement prompte à imaginer le pire…
Quatrième et dernière épreuve: la psy me prête son ordinateur portable auquel elle a attaché deux buzzers. Des séries d’une lettre et un chiffre défilent à l’écran; je dois cliquer en alternance – et le plus vite possible – du côté où se trouve la lettre et du côté où se trouve le chiffre. Ca aussi, c’est méga chiant et même si je ne fais aucune erreur, j’ai l’impression que ça dure des plombes.
Enfin, nous parlons des habiletés sociales et des endroits où pêchent les miennes. Plus la liste s’allonge, plus je me dis que c’est un miracle si j’ai encore quelques amis neurotypiques. J’explique longuement mon absence d’identité de genre, un sujet que j’ai rarement l’occasion d’aborder et pour lequel je n’ai pas de discours tout prêt. En évoquant l’entretien de remise de bilan qui doit avoir lieu lundi prochain, la psy me dit qu’elle n’a pas encore dépouillé mes questionnaires, mais que d’après les tests de QI d’avant-hier, elle est déjà certaine pour le HPI, et que mes entretiens avec elle pointent effectivement vers des TSA. Nous avons beaucoup rigolé ensemble (et fait de digressions sur le féminisme) durant les deux séances de tests; je craignais que ça me donne l’air trop « normale » – mais en même temps, c’était complètement moi. Je suis donc plutôt soulagée d’entendre que je ne me suis a priori pas méprise sur mon propre diagnostic, et très curieuse de lire son futur compte-rendu.
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