La permission d’être moi

 

Depuis que j’ai eu le résultat de mon bilan neuro-psy, c’est comme si un poids énorme que j’avais trimballé toute ma vie s’était envolé de mes épaules. Non, je n’étais pas juste pénible, capricieuse, égoïste ou de mauvaise volonté. Au contraire, j’ai même fait un sacré travail d’adaptation pour arriver à l’âge de 50 ans sans que personne ou presque n’ait rien remarqué dans mon entourage. Et j’ai toujours beaucoup pris sur moi, mais je commence à fatiguer; désormais, je vais pouvoir me donner la permission de relâcher mes efforts. Ne plus m’excuser d’être moi, un peu vis-à-vis des autres mais surtout vis-à-vis de moi-même. 

D’un coup, j’ai cessé de culpabiliser pour la fois où je me suis mise à suffoquer durant un escape game en sous-sol dans une pièce hyper humide, et où j’ai hurlé comme si on m’égorgeait pendant plusieurs minutes une fois sortie. Pour le stage de céramique si longtemps attendu où je n’ai tenu que trois quarts d’heure avant de m’enfuir en pleurant de stress et de frustration. Pour l’atelier pin-up dont je suis partie très vite parce que l’organisation approximative m’insupportait et que l’atmosphère me mettait hyper mal à l’aise. Pour la fois où je suis descendue de cheval et où j’ai planté là le moniteur qui, voyant que je n’arrivais pas à faire un exercice, gueulait l’instruction en boucle comme si mon problème, c’était que j’étais sourde. Pour ce réveillon du Nouvel An où le Chacal Jaune m’avait traînée au dojo de Bras et où toutes les demi-heures, je me réfugiais aux toilettes avec un bouquin à son plus grand énervement. Pour les barbecues d’anniversaire que j’appréhendais chaque été – oui, les autres invités étaient sympas, mais des dizaines d’inconnus d’un coup, dont certains essayaient d’engager la conversation avec moi, c’était juste pas possible. 

Pour les crises de cocotte-minute dans le train ou en pleine rue devant mon amoureux très décontenancé. Pour le crash après chaque salon ou festival auquel j’assiste: j’ai beau être hyper contente de passer du temps avec mes collègues et amis, ça ne change rien à la fatigue induite. Pour toute les phrases que j’ai lancées sans réfléchir, qui ont été suivies d’un silence gêné et que je rumine encore des années plus tard. Pour ma réaction disproportionnée face à cette caissière munichoise qui m’avait rabrouée parce que je n’avais pas de liquide. Pour ma crispation quasi immédiate en présence de jeunes enfants: leur agitation, le bruit qu’ils font, l’attention qu’il faut leur porter. Pour ma difficulté à m’entendre avec les personnes hypersensibles qui se sentent souvent agressées par ma façon d’être. Pour mon habitude de ghoster les gens dont je ne veux plus dans ma vie, parce que c’est ça ou leur balancer tout ce que j’ai sur le coeur d’une façon qui ne leur ferait pas de bien. Pour mon incapacité à vivre avec quelqu’un à plein temps, même si je l’adore. 

Maintenant que je sais que certains de mes plus gros défauts ne sont pas vraiment des choses que je peux contrôler, me voici libre d’apprécier le revers positif de la médaille. Oui, ma vision du monde est manichéenne et sans nuances. Mais ça veut dire que je ne transige pas avec mes valeurs quoi qu’il m’en coûte. Ca me tient lieu de courage et de levier d’action même quand agir me stresse infiniment. Et dans les domaines où ça compte, mon besoin impérieux de justice et d’équité compense fort bien mon manque d’empathie. Oui, il m’est impossible travailler avec d’autres gens – qu’importe, puisque j’ai la discipline nécessaire pour me gérer seule dans dans mon coin. Oui, j’ai échoué à faire carrière dans le domaine auquel des études que je n’avais pas choisies me destinaient – mais sans diplôme ni formation idoine, j’ai hyper bien réussi dans un secteur que j’adore et un métier que j’ai un vrai plaisir à exercer. Je ne suis jamais freinée dans mes choix par ce que les autres pourraient penser de moi: je m’en fous comme de l’an 40. Ma motivation comme ma validation sont entièrement internes. Et parce que c’est dur d’être en couple avec moi, mon amoureux est un autre neuroatypique avec qui la vie est parfois compliquée mais jamais ennuyeuse. 

Puisque je sais que toutes ces caractéristiques ne changeront pas ou très peu, je n’ai plus besoin de lutter contre elles par principe. Je peux me défaire des émotions négatives très lourdes qu’elles suscitaient (le deuxième étage du bus rouge, comme le décrit Clotilde Dusoulier) et me concentrer sur la recherche de solutions, de moyens pour les contourner ou faire avec. J’ai la chance que mon autisme s’accompagne d’excellentes facultés intellectuelles; donc, globalement, je ne suis pas plus handicapée que n’importe qui d’autre face aux épreuves ordinaires de la vie. Où qu’on se situe sur l’échelle de la neurotypie, on a tous nos faiblesses, nos impossibilités. Les miennes sont désormais identifiées clairement. Je peux accepter en toute sérénité les limites qu’elles m’imposent et me faire sans regrets la plus belle vie possible à l’intérieur de ces frontières. Un peu comme si, à 50 ans, j’avais enfin reçu la permission d’être moi. 

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4 réflexions sur “La permission d’être moi”

  1. Je suis ravie pour toi que cette démarche t'ait fait autant de bien et te délivre de ruminations / pensées négatives / quel que soit le nom que tu veuilles leur donner 🙂

    Mélusine

  2. Vu de l'extérieur – et de ma neuroatypie légère non diagnostiquée –, ce parcours est remarquable, en ce qu'il souligne aussi, par-delà ton expérience, que chaque humain fait de son mieux selon ses moyens, ses forces et le contexte. Merci en tout cas d'en faire le récit. Que tu évoques ta "vision du monde manichéenne et sans nuance" m'a fait sourire à l'idée que ta lucidité extrême conférerait à beaucoup un début de sens de la nuance.
    Bon week-end

  3. Merci pour ta série de posts à ce sujet. J'ai été particulièrement sensible à ta lecture parce que je connais cette démarche mais depuis ma chaise de neuropsychologue. Je me suis spécialisée dans le diagnostic des TSA et j'ai lu avec intérêt tes impressions. Je suis tellement heureuse de lire que l'aboutissement de ta démarche te permette d'alléger ta culpabilité. Ça ne change pas qui tu es mais ça aide à trouver des clés pour mieux vivre et c'est déjà beaucoup. Merci d'avoir partagé ça avec nous.

  4. nelly poipoi

    C'est vraiment un très beau billet. Bravo pour avoir eu le courage de te révèler cette vérité et d'en assumer pleinement tous les aspects.

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