« Comment voyager dans les Terres oubliées » (Sarah Brooks)

XIXe siècle. Quels secrets renferment les Terres oubliées, ces vastes étendues entre la Russie et la Chine totalement coupées du monde? La seule activité que l’on y connaisse est le passage du Transsibérien Express. Si la traversée est réputée dangereuse, les voyageurs ne manquent pas, tous attirés par les mystères et les légendes de ce territoire isolé. Malgré d’inquiétantes rumeurs à propos d’un accident survenu lors du dernier trajet, la compagnie l’assure, tout est désormais sécurisé. Et le prochain départ est là pour l’attester. À bord, les passagers s’installent, font connaissance. Mais si tout semble se présenter au mieux, certains ont des raisons particulières d’être là. Marya, par exemple, qui a l’impression qu’on lui cache la vérité sur la mort de son père, survenue peu après la dernière traversée. Ou bien Weiwei, l’enfant née dans le train, qui en connaît par coeur chaque recoin et chaque secret. Sans oublier la mystérieuse Capitaine, dont la discrétion confine à l’invisibilité. Alors que le Transsibérien Express commence sa course folle, des événements d’abord imprévisibles, puis très vite incontrôlables, se produisent…

J’ai plus ou moins abandonné les critiques de livres depuis assez longtemps, mais je ne pouvais pas ne pas vous parler de mon premier gros coup de coeur littéraire de 2025. Ce roman fait partie des 9 que j’ai achetés (en VO) lors de notre dernier voyage à Edimbourg, où il m’a séduite par sa splendide couverture et par la promesse d’une histoire se déroulant à bord d’un train. C’est l’avant-dernier du lot que j’aurai lu, et c’est aussi de très loin mon préféré.

« Comment voyager dans les Terres oubliées » est le premier roman de son autrice. Il se situe à cheval entre plusieurs genres: historique, aventure et fantasy, avec des éléments d’horreur et de mystère. L’histoire est racontée du point de vue de plusieurs personnages. Il y a Marya, une jeune femme russe dont le père était l’ingénieur en charge des vitres du Transsibérien Express. Accusé d’avoir provoqué un grave accident, il est mort peu de temps après la fin de son dernier voyage. Il y a Weiwei, une orpheline d’origine chinoise née à bord du train et qui n’a jamais connu d’autre maison. L’amitié qu’elle va nouer avec une étrange passagère clandestine sera un élément-clé du roman. Il y a Henri Grey, un scientifique anglais en disgrâce persuadé que les Terres oubliées lui offriront une occasion de laver sa réputation. Il est prêt à tout pour en rapporter des spécimens, y compris à mettre en danger la vie de tous les occupants du bord.

Le Transsibérien Express appartient à une compagnie ferroviaire toute-puissante, qui ne rechigne pas à dissimuler des informations pour assurer sa prospérité. C’est un monstre d’acier apparemment invulnérable, composé d’une vingtaine de voitures abritant tout le nécessaire pour vivre en vase clos pendant plusieurs semaines. Un monde scellé qui file à travers un paysage étrange, aussi fascinant que menaçant. De l’origine des Terres oubliées, on ne saura que peu de choses. Peuplées par une faune et une flore hallucinatoires, elles représentent le chaos et la nature irrépressible du changement, que l’humanité tente de contenir au moyen d’immenses remparts.

Curieusement, du point de vue littéraire, c’est au « Cirque des rêves » que ce roman m’a tout de suite fait penser. Comme ce dernier, il vaut essentiellement par son atmosphère envoûtante, à nulle autre pareille. Comme dans ce dernier, le world-building repose sur un mystère dont la source ne sera jamais dévoilée – et c’est sans doute mieux ainsi. Comme dans ce dernier, les personnages ne sont pas très fouillés du point de vue psychologique: ils ressemblent davantage à des archétypes présents pour actionner les différents leviers narratifs. Etant donné la qualité de l’histoire, ça ne m’a pas dérangée du tout. Et après un coup d’essai aussi réussi, je guetterai avec beaucoup d’impatience le prochain roman de Sarah Brooks.

Traduit de l’anglais par Héloïse Esquié

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